2020/07/15

 

After Photography & Beyond : note de lecture "en catimini" par Ilan Michel dans le magazine Zérodeux (numéro 94) :

« La période de crise que nous traversons n’a jamais fait ressentir avec autant d’acuité la valeur du livre. Si certains en ont profité pour (re)lire La Peste d’Albert Camus ou La Recherche de Marcel Proust, je saisis ici l’occasion de faire remonter du flot éditorial trois ouvrages sortis en catimini. Chacun fait l’effet, à sa manière, de baume et d’accélérateur de la pensée.

Le plus conceptuel d’entre eux : After Photography & Beyond1. Le catalogue fait suite à l’exposition d’Isabelle Le Minh, After Photography, au Frac Normandie Rouen en 2017 mais n’est paru que fin 2019. Dans cet écart s’est joué son invisibilité. Pourtant, la qualité et la précision de l’ouvrage expliquent sa temporalité. Mis en page par Jérôme Saint-Loubert Bié, il reprend les principes graphiques de l’encyclopédie photographique américaine Time Life Library of Photography parue en 17 volumes dans les années 1970 – une référence. Comme elle, il adopte une couverture cartonnée à la pellicule argentée, recouverte d’un dos toilé, un papier couché brillant et une typographie historique (la Neue Hass Grotesk devenue Helvetica). Les intercalaires ont substitué le jaune Kodak au gris initial tandis que le dos évoque le rouge du logo de l’entreprise. Prolongement et mise en abyme de la recherche d’Isabelle Le Minh autour de la reprise, des notions d’auteur et d’original, l’ouvrage rejoue avec brio son goût pour la réappropriation et la référence. L’ajout de la préposition « et au-delà » dans le titre du catalogue rappelle avec humour l’exclamation de Buzz l’Éclair tout en soulignant une interrogation sur le devenir du médium. Les photographies alternent les vues d’exposition et les gros plans sur les œuvres : double sensation de distance et de proximité qui invite aux correspondances. Si l’article de l’historienne de la photographie Julie Jones revient avec concision sur le lien avec le courant appropriationniste, celui du photographe catalan Joan Fontcuberta, fidèle à la réputation de conteur de ce dernier, passe par le long récit de l’expédition polaire en montgolfière de l’ingénieur Salomon August Andrée accompagné de l’étudiant Nils Strindberg qui, initiée en 1897, se solda par un échec. Les 240 négatifs altérés documentant l’aventure sont prétextes à souligner le passage du temps sur un médium qui prétendait l’endiguer, dans un texte en forme de vanité. Un entretien avec Isabelle Le Minh, placé au centre du livre, explicite son rapport à l’histoire de la photographie, questionnant notamment le format et le hors-champ – une parole précieuse que l’on aurait aimé voir étoffée. »

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